Une épée de Damocles

La pipe ci-contre est assurément celle qui est la plus réaliste des pipes-cigare évoquant des objets volants ou immergés. Il s'agit carrément d'un modèle réduit de dirigeable.

Pour arriver à une telle imitation le fabriquant s'est tourné vers un matériau moulable, réalisé dans ce cas par la maison L'Ebonite à Saint Claude : la bakélite, était en vogue durant l'entre deux guerres et ne donne pas des réalisations pipières très intéressantes. C'est "trop facile" et les caractéristiques de ce polymère n'ont rien à voir, du point de vue du fumeur, avec les qualités du bois de Bruyère.

On pourrait donc gloser longtemps sur la pertinence à fabriquer de telles pipes et j'éviterai cela en ne retenant ici que deux détails qui m'ont décidé à présenter cet énergumène.

Le premier point concerne cette inscription saugrenue sur les flancs de l'aéronef : " Paris New York". Disons-le tout de go, il n'y a jamais eu de ligne commerciale en dirigeable exploitée entre ces deux villes. Les deux machines qui ont eu une exploitation intensive à but lucratif sont le LZ-127 Graf Zeppelin lancé en 1927 et le LZ-129 Hindenburg de 1936. Ce dernier possédait une autonomie de 14000 km et a transporté autour de la planète plus de 3000 passagers payants. Les cabines se situaient sur deux étages, comportaient un bar, une salle à manger, une promenade, un piano à queue, et .... un fumoir.

C'est que, cher lecteur, à cette époque là, la qualité de vie et les plaisirs épicuriens n'étaient pas entravés par une "gestion du risque" si chère aujourd'hui aux compagnies d'assurance et aux politiques bien pensants.

Oui, vous avez bien lu : un fumoir sous une épée de Damoclès de 190 000 mètres cube d'hydrogène prêts à se combiner à la moindre étincelle avec l'oxygène de l'air dans un feu d'artifice réduisant ceux de nos fêtes nationales à de pâles petits prouts tristounets.

Evidemment, les fumeurs de pipe embarqués n'y étaient absolument pour rien lorsque le 6 mai 1937 à Lakehurst (New Jersey, USA) la machine explosa.

L'autre détail qui a retenu mon attention est l'insert en Bruyère qui vaut à cette pipe-cigare d'être doublement originale. Ce cas de figure se retrouve également ici, bien que la disposition de l'insert y est totalement différent. Pour ce modèle-ci, cette disposition permet de varier les formes du fourneau comme le montre les trois modèles de cet article.

Si on a abandonné aujourd'hui l'idée de fabriquer des pipes en bakélite comme celles-ci, le dirigeable reste quant à lui, toujours à l'ordre du jour. Moyennant le remplacement de l'hydrogène par l'hélium, il constitue un moyen alternatif, économique et plus respectueux de l'environnement que les jets pour transporter des charges lourdes et/ou encombrantes.