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Tête de mort

Article publié le 4 Janvier 2011 à l'occasion de mon exclusion du forum "Tassse-Braises" et dédié à ses modérateurs.

Parmi les pipes dites "figuratives" - celles qui sont sculptées - un thème récurent retient particulièrement l'attention : la pipe "tête de mort". Qu'on soit fumeur, artisan ou tout simplement spectateur de ces pipes, le discours autour de l'objet n'est jamais anodin.

Alex Brishuta (Ukraine)

En achetant une pipe tête de mort ou en la réalisant, possesseur ou artisan ont fait un choix osé. On reviendra sur leurs motivations, mais considérons d'abord celui qui est le témoin inopiné d'un de ces crânes fumant. Celui à qui on met subrepticement ce type de pipe sous les yeux est mis face à l'image la plus intolérable qui soit : celle de la mort.

Une posture de refus est alors plutôt banale.

Il y a ceux qui s'expriment ouvertement par une moue dubitative, un rictus de dégout, ou une remarque pleine de retenue. "C'est spécial !" observerait poliment plus d'un. Et puis il y a tous ceux qui se lancent dans un discours esthétisant sur la facture ou la ressemblance anatomique des crânes en bruyère ou en écume de mer, le tout truffé éventuellement de quelques traits d'humour.

Les uns comme les autres se dérobent à l'essentiel : Un tel objet ne compte pas tant par ce qu'il est, mais par ce qu'il représente et par l'intention de celui qui l'arbore.

Qu'il soit joliment sculpté ou simplement bâclé, le crâne humain dérange l'homme bien pensant, celui qui s'accroche à la fiction de l'immortalité en pensant qu'il joue dans cette vie le salut de son âme. C'est précisément lui qui est visé à la fois par notre fumeur de cervelle ou par le Biker au blouson décoré du symbole toxique. Leur première motivation à tous deux est la provocation, celle-là même qui fixe clairement la frontière entre ceux qui rient de la mort et ceux qui en font une tragédie.

Et puis, il y a l'affirmation de sa liberté qui renvoie aux aventures des pirates et autres flibustiers pour qui la mort faisait partie de la vie. Là encore ce n'est pas tellement la manière de représenter le crane qui importe, l'essentiel est que la bannière noire flotte bien haut. Pour notre fumeur, il n'y a assurément pas meilleurs endroit qu'une bouffarde plantée au beau milieu de son visage pour afficher clairement ses couleurs. La pipe est indubitablement le support rêvé pour mettre en valeur une allégorie de la mort.

Il est intéressant de noter à ce stade la démarche de Roger Wallenstein[1] qui joue sur son prénom et le nom anglais du pavillon pirate - "Jolly Roger" - pour proposer une série de pipes avec des tuyaux ornés du symbole des forbans.

Pavillon pirate sur les tuyaux de la série Jolly Roger

Cependant, la démarche reste prudente à plus d'un titre. Son approche est au second degré. D'abord, il reproduit un drapeau qui se réfère lui même à la tête de mort. Cet effet en cascade amorti indéniablement le choc. Ensuite une astucieuse stylisation simplifie et tronque l'innommable crane. Les deux tibias qui ornent généralement le pavillon pirate ont disparu pour ne plus laisser paraître qu'un élégant motif en creux. On est très loin du réalisme provocateur d'une sculpture. Cette habile transposition est révélatrice du souci de ne pas vouloir se priver d'un clientèle qui, si elle est prête a s'encanailler un tantinet, reste attentive à ne pas s'exposer crument.

Que cela ne nous fasse pas perdre de vue que l'artisan allemand reste au fond un sublime provocateur : ne l'a-t-on pas vu en 2006 lors du Chicago Pipe Show affublé d'un T-shirt portant bien en évidence l'inscription "Fuck you, you fucking fuck !" ? N'est-il-pas parmi les pipiers inventifs celui qui ose proposer des formes de pipe vraiment révolutionnaires ?

Ecume de mer
Pipe en terre par Louis Fiolet à St Omer, (France vers 1750)

On ne m'ôtera pas de l'esprit qu'inventivité est indissociable de révolte et que ces pipes "tête de mort" sont faites par des artisans non-conformistes pour des fumeurs rebelles, autant dire une poignée de personnes dans une société qui se caractérise de plus en plus par la recherche du consensus, du politiquement correct et du propre sur soi.

Un petit disque de Black Sabbath, une pipe tête de mort et vous verrez se réveiller le Hell's Angel qui sommeille en vous !

[1] Logos et estampilles sur les pipes de Roger Wallenstein

 

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